Le premier mot
Alexakis, VassilisDepuis La Langue maternelle (1995), le romancier creuse le même sillon, pour nous dire que la vie est le verbe mais qu'il faut le cultiver, le porter, le chercher. En partant à l'aventure, la narratrice du Premier Mot croise une chorale de sourds dans une église, le fantôme de ses parents, les comptines de son enfance. Elle écoute les avis des zoologistes, des ethnologues, des linguistes, et se nourrit d'histoires et d'anecdotes souvent poétiques. Ainsi apprend-elle que l'indémodable « am, stram, gram, pic et pic et colégram » des cours de récréation descendrait d'une incantation chamanique, ou encore que les aborigènes d'Australie, à la mort d'un chef, choisissent d'effacer définitivement un mot de leur vocabulaire. « On sait qu'en mille ans chaque langue perd à peu près le cinquième de son vocabulaire, ce qui signifie qu'au bout de cinq millénaires il n'en reste pour ainsi dire rien », lui révèle un scientifique. Il faut donc faire de la résistance pour en sauver certains et apprécier le grand métissage du français qui rassemble à lui seul plus d'une centaine d'idiomes.
Ce livre plein de fantaisie et d'enchantements est pétri d'amour filial et de gourmandise. Vassilis Alexakis a « la logique farfelue des dictionnaires », passe d'un monde à l'autre, du passé au présent, du personnel à l'universel. Il y a de la sensualité dans cet ouvrage savant et inventif, qui ouvre mille pistes de réflexion. L'auteur n'est jamais pédant, et son roman dégage même - faute de résolution définitive - une certaine sérénité : celle de la narratrice qui ne cessera jamais de dialoguer avec son frère disparu. Les mots redonnent vie aux absents, comme une histoire racontée à l'heure du coucher réussit à apaiser un enfant.
Le 23/10/2010 - Mise à jour le 18/09/2013 à 17h33
Christine Ferniot - Telerama n° 3171
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